15 Août 2019
Je voudrais revenir aujourd'hui, dans Chroniques Metalliques, sur une discussion qui n'a jamais été réellement mis à plat, je veux parler du résultat ou plutôt du mixage d'un des plus grands albums de METALLICA. Je veux parler bien sûr de '...And Justice For All', sorti le 25 Août 1988, il y a 31 ans, et dont le problème majeur était non pas le disque en lui-même, absolument dantesque en terme de composition et de direction artistique, mais du traitement du travail de Jason Newsted alors qu'il était dans le groupe depuis seulement 2 ans, remplaçant d'une icône disparue trop tôt, Cliff Burton... Alors, sans essayer de véritablement juger qui que ce soit, je vais citer les différents protagonistes de cette polémique qui dure depuis plus de 3 décennies, parmi lesquelles on retrouvera le producteur Flemming Rasmussen, l'ingénieur du Son Steve Thomson ainsi que les membres du groupe. Mais au fait, quel était le souci ? Je dirais pour répondre à celui qui me poserait cette malheureuse question, simplement d'écouter le disque, et il comprendra de lui-même que le jeu de basse de Jason Newsted est pratiquement inaudible tant il a été sous-mixé dans le résultat final, ce qui donne au disque ce son froid et glaçant, presque inconfortable à l'écoute ( j'exagère à peine... ), mais qui ultime paradoxe va de pair avec les thèmes développés par James Hetfield dans les paroles des chansons, comme l'écologie dans "Blackened", la justice pourrie par l'argent dans "...And Justice For All", la lutte pacifiste et quelque part l'euthanasie dans "One", les atteintes à la liberté dans "The Shortest Straw ou encore la paranoïa dans "The Frayed Ends Of Sanity"...
Flemming Rasmussen à propos du résultat final de '...And Justice For All' dit ceci:
«Ce qui s’est passé, c’est que les ingénieurs du mixage ( Steve Thompson et Mike Barbiero ) ont fait un mixage qui, à leur avis, sonnait vraiment très bien, avec beaucoup de basses. Et les pistes de basse sur '… And Justice For All' sont vraiment fantastiques. Jason joue vraiment bien. Il a probablement essayé de prouver ce qu'il valait, qu'il était le bon choix pour succéder à Cliff, ce qui, à mon avis, l'était. Avec un style différent, mais il était aussi bon bassiste que Cliff, mais d’une manière différente. Et j’ai entendu les pistes de basse et elles étaient vraiment incroyables. Ça sonnait bien, il jouait bien. Mais les gars ont entendu le mixage et ils ont dit: "Très bien, abaissez la basse, changez ceci, ceci et cela, puis abaissez la basse". Vous l’entendez donc à peine. Et puis, une fois cela fait, ils ont dit: "Prends-le encore 3 dB".
Pourquoi ils ont fait ça, je n'en ai aucune idée ! Peut-être qu'ils étaient toujours en deuil à propos de Cliff. Je ne sais pas. Mais imaginez ma surprise quand j'ai entendu l'album. Je me suis dit: "Qu'est-ce que ... quoi ?!" Il a été vraiment critiqué lors de sa sortie, et les gens ont été plus ou moins époustouflés à cause de la sécheresse du son. Ça va juste BANG, juste dans votre visage.
'… And Justice For All' est probablement l’unique album des 30 dernières années qui a été le plus influent sur le plan sonore pour toute la génération des groupes de hardcore. Ils voulaient tous sonner comme ça. En tant que producteur exécutif, je suis vraiment désolé pour ça. C'est mon erreur, j'aurais dû être plus ferme sur le résultat final.»
Steve Thomson, a été accusé de tous les maux concernant le mixage de l'album. En 2015, il donne sa version des faits, et c'est sans appel, jugez plutôt:
«Il fallait que le son de la batterie soit comme l'avait décidé Lars. Je n'étais pas un fan. Alors maintenant, il me dit: "Tu vois la guitare basse ?" et j'ai dit: "Oui, grande partie, mec. Newsted a fait un boulot monstre". Il a dit: "Je veux que tu réduises les basses où on pourra à peine les entendre audiblement dans le mix". J'ai dit: "tu déconnes. D'accord ?" Il a dit: "Non. Ramène-le". Je le ramène à ce niveau et il dit: "Maintenant, diminue encore de 5 dB. Je me suis retourné et j'ai regardé Hetfield et j'ai dit: "Il est sérieux ?" Cela m'a simplement époustouflé. Mon seul regret est que nous n'avons pas eu le temps de le mixer comme nous l'avions entendu. Tout était là, la basse était excellente, c’était parfait. Ils nous ont emmenés par avion ( en 2009 pour l'intronisation au Rock'And'Roll Hall Of Fame de METALLICA ) et je suis assis à côté de Lars. Il dit: "Hé, qu'est-il arrivé à la basse dans Justice ?" En fait, il m’a demandé ça. Je voulais lui mettre la bite dans le sac. C’était dommage car c’est moi qui me fait emmerder par manque de basses.»
James Hetfield a un avis bien particulier, notamment sur ce combat apparent que devait mener Jason Newsted au sein de METALLICA pour trouver sa place:
«Je pense que cela devait être extrêmement doux-amer pour lui. Un rêve devenait réalité, mais c'est comme des chaussures qui ne peuvent jamais être remplies. Cela a dû être très difficile pour lui et pour nous, c’est vrai. Un peu comme si toute notre colère, notre chagrin et notre tristesse s’exprimaient contre lui, pas tous mais c’était une cible facile. Et je pense qu’il y avait deux ou trois choses à propos de Jason, sa personnalité… Il était assez maladroit, ce qui était un avantage pour lui. Je pense qu’il était un tel fan, et moi Je détestais ça, nous détestions ce rôle. Nous voulions le "décompresser" et le faire devenir aussi difficile que nous l'étions. Donc essayer de le vaincre, essayer de lui faire jouer quelque chose de différent, comme Cliff l'aurait fait. Une pioche et il suivait ce que je faisais ( à la guitare ). Et je me souviens que parfois je jouais, je me retournais pour qu'il ne puisse pas voir ce que je jouais alors il ne pouvait pas suivre. C'est comme: "Fais ce que tu veux faire". Mais, bien sûr, en Live il avait sa place, il était une grande force. Et vous avez entendu la basse jouer en concert. Et il n'avait pas peur de passer au micro et d'aboyer dès qu'il en avait envie. Et il transpirait, il transpirait vraiment, et il a beaucoup investi dans le spectacle. Cela a donc gagné beaucoup de respect, du moins pour nous, une fois que nous avons commencé à tourner avec lui.»
Agacé par la polémique concernant ce quatrième album, le grand James réplique:
«Lars l'a probablement fait. Je ne me souviens plus quelle était ma réponse à ce moment-là, mais c’était fait. Je veux dire, je dirais, ce n’était pas tout: "Fuck him, laisse-le baisser." C’est certain. Nous voulions le meilleur album que nous puissions faire. C'était notre objectif. Nous étions cramés. Nous l'étions tous. Aller et venir. Jouer un concert. Pas de bouchons d'oreilles, rien. Vous rentrez en studio, votre audition a été bousillée. Si vos oreilles ne peuvent plus entendre les sons aigus, vous allez les augmenter. Donc, nous montons de plus en plus haut et tout d’un coup, le bas de gamme est parti. Donc, je sais que cela a joué un rôle plus important que n'importe quel bizutage ou tout ressentiment envers Jason, c'est certain !»
Plus tard, Hetfield compara le fait de remixer l'album, ce serait comme faire sourire Mona Lisa davantage:
«Pour sûr. Ouais. En ce qui concerne Flemming Rasmussen, cela a toujours été facile et sans douleur de travailler avec lui. Il comprenait facilement où vous vouliez aller et ce que vous pensiez, et il voulait que ça sonne bien aussi. Il y avait des désaccords et nous avons travaillé ensemble pour donner le meilleur de nous tous. Je ne me souviens pas de désaccords autour de '…And Justice For All'. Toute cette discussion de basse des années après les faits, c’est de la merde, mec, vraiment ! Et pourquoi changeriez-vous cela ? Pourquoi voudriez-vous changer l'histoire ? Pourquoi voudriez-vous tout d'un coup y mettre de la basse ? Il y a de la basse, mais pourquoi voudriez-vous remixer un album ? Vous pouvez le remasteriser, oui, mais pourquoi voudriez-vous remixer quelque chose et le rendre différent ? Ce serait comme… je ne sais pas. Non pas que je nous compare à la Joconde, mais c’est comme: Euh, pouvons-nous la faire sourire un peu mieux ?! Vous savez pourquoi ?»
On en finit évidemment avec Lars Ulrich, qui comme à son habitude ne mâche pas ses mots, à propos de la soit-disant production unidimensionnelle et froide de '...And Justice For All':
«Tout est une question d'équilibre. Nous avons donc trouvé un moyen d'obtenir, je suppose, principalement James ( Hetfield, guitare/voix ) et moi, avec notre façon de composer dans l'écriture, dans les parties jouées, dans le rendu, qui n'est peut-être pas l'image que l'on devrait donner mais la façon dont tout cela pouvait coexister sans que personne ne soit obligé de retourner en arrière, ou c’était comme si nous étions tous enchaînés et que nous allions de l’avant, c’était ainsi que cela fonctionnait.
Pourquoi la grosse caisse sonne-t-elle comme ça ? Eh bien, une partie de la raison pour laquelle la grosse caisse sonne comme cela parce qu’il n’y avait pas d’autre endroit où passer la grosse caisse. Parce que la guitare de James était en quelque sorte ici, donc la grosse caisse vivait là-haut ou un peu plus bas. Il y avait donc une raison pour beaucoup de ce genre de choses. Personne ne s'est assis et n'a dit: Nous allons avoir un disque, ça va être mélangé de cette façon. Nous n’étions pas capables de penser à ce niveau-là, c’est donc en grande partie le résultat de ce que je pensais, avoir une sorte de point d’équilibre en cours de route pour que tout fonctionne.
Je pense qu'il est important de dire que ce n'était pas prévu de cette façon. Nous ne sommes pas restés assis là-bas, pendant un an en se disant, nous allons avoir un album qui sonne comme ça. Je ne sais pas si le mot "accidentel" s'applique, mais c'est simplement le résultat de choix instinctifs qui ont été faits en cours de route pour que cela fonctionne, pour tenir les gens à distance,tout ce genre de merde. Personne ne va y toucher. Personne ne va s'en mêler. Nous sommes les gardiens. Va te faire foutre ! C'était un peu mon souvenir de toute cette année.»
Alors que penser de tout ça pour synthétiser la chose ? Tout d'abord, quoi que l'on en pense, comme l'explique le groupe, rien n'est jamais parfait, et un album, aussi mythique soit-il, est toujours rattaché à son époque, avec ses qualités et ses défauts. Des millions de chevelus, dont j'ai toujours fait partie, sont des fans absolus de cet album fantastique qui nous a fait vibrer, et à l'époque, ados boutonneux que nous étions, nous n'avions ni le matos pour l'écouter comme aujourd'hui, et sûrement pas la même façon d'analyser la musique que nous écoutions. Ce qui n'empêche pas de se demander ce qu'aurait pu donner un "Harvester Of Sorrow" ( mon titre préféré, indispensable à tout bon concert du groupe, selon moi ) avec un son massif... Chose que vous pouvez expérimenter par vous-même, puisque sur Youtube et autres réseaux, des fans ont créé des versions de l'album avec une basse bien présente et ronflante, comme pour rendre hommage à un certain Jason Newsted...